Je n’ai jamais fait de course aussi dure.
Je ne me souviens pas avoir dit que j’avais souffert sur une course, mais là j’en ai bavé. Je ne pensais pas aller si loin dans la douleur. Non pas que je ne m’en sentais pas capable, mais je ne le souhaitais pas car ce n’est pas ce que je recherche dans la course à pied, je cours avant tout pour mon plaisir.
Que s’est-il passé? Je me suis pris au jeu, j’étais à 132km le premier jour, puis 226 le second, 334 au 3ème, j’ai voulu rester sur cette moyenne d’un centbornes par jour. Je suis arrivé à 502km500 au terme du 5ème 24h, et à partir de là une blessure est venue me contrarier. Il restait 48h de course et je perdais tout espoir de revenir sur Alain FORCELLA mais il me fallait conserver ma deuxième place devant mes compagnons de la Transe Gaule 2005, Christophe MIDELET et Patrick BONNOT. Maudite périostite, maudit béton, et moi avec pour être venu en touriste sur une épreuve de cette taille.
Je m’étais promis d’essayer la NFL si la Transe Gaule était bien assimilée. J’ai longtemps hésité entre Monaco et les 24h du Téléthon à Vallauris Golfe Juan où j’avais fait une 3ème place en 2003, j’aime bien l’anneau de Vallauris. Je m’étais aussi engagé sur les 100km de St Estève le 5 novembre, la No Finish Line ne me laissait que deux semaines de récup contre quatre pour Vallauris. Qu’importe, cette course me tentait, une semaine à Monaco, pour la bonne cause aussi puisque pour chaque kilomètre parcouru les sponsors reversent un euro à l’association Children and Future. Cette association vient en aide aux enfants atteints de problèmes cardiaques. Le 7 novembre je donnais ma confirmation à Philippe Verdier, l’organisateur de la NFL.
Me voilà donc à Monaco le 20 novembre. La Princesse Stéphanie, marraine de l’épreuve, vient nous donner le départ en compagnie de l’ex gardien de but de l’équipe de France de football Jean-Luc Ettori. Les Monégasques nous l’ont dit, la Princesse n’aime pas trop les cérémonies, elle mène une vie simple à Monaco et fait ses courses dans la grande surface locale. Nous aurons l’occasion de le vérifier dans la semaine quand elle viendra en jean et anorak accomplir quelques tours de piste pour l’association en compagnie de sa fille Pauline et de sa chienne Vanille, sympathique Labrador. Le Prince aussi, dossard n°1, viendra faire quelques tours pour Children and Future. En grand sportif il les fera en courant. En tout cas, ce dimanche 20 novembre je suis fier de poser auprès de la charmante princesse, si différente de l’image qu’en donnent les journaux à scandale.
Nous sommes quinze à vingt coureurs à tourner tous les jours, dont une douzaine à loger en bord de circuit. Les autres sont des coureurs locaux et rentrent dormir à domicile. Pour nous l’organisation a installé des préfabriqués. Un restaurateur local a proposé de fournir les repas du soir, à midi chacun se débrouille. Pour ma part, en bon Breton j’ai porté mes crêpes, avec de la crème de marrons plus un fruit, ça me fera le repas de midi. Je mange peu pendant les épreuves mais je me rattrape ensuite.
Mes ambitions au moment du départ sont à la hausse. Tant qu’à venir je vais quand même tenter quelque chose. Seulement, le premier jour je me rends compte que je n’ai pas complètement récupéré des 100km de St Estève. Je n’ai pas de bonnes jambes. Qu’importe me dis-je, demain nous serons tous à égalité car personne n’aura de bonnes jambes. Effectivement le lendemain je suis surpris de remonter sans effort de la 5ème à la 2ème place. En ce début de course, Gérard CAIN, plus habitué au sable du désert qu’au béton de la digue fait cavalier seul en tête. Cette 2ème place je ne la garde pas longtemps. Je suis allé me coucher avec 7km d’avance sur Alain Forcella, je me lève avec 10km de retard. J’ai dormi 6h, Alain s’est levé tôt. Gérard lui ne dort pas, il s’arrête une heure ou deux par nuit mais après 48h il ressent des douleurs aux genoux et se voit contraint d’arrêter le 3ème jour. Il reviendra dans la course après s’être reposé et restera jusqu’à la fin. Il terminera à la 5ème place. Donc le 3ème jour je retrouve ma 2ème place, mais derrière Alain. Je passe le 3ème 24h pas très loin de lui, avec 324km, mais je ne me soucie pas encore de la place, pour l’instant j’observe et je cherche surtout à maintenir mon kilométrage quotidien. Sur une telle durée les places viennent toutes seules. Cependant le soir même je commets une erreur en laissant Alain faire le trou. Je me suis arrêté à 19h30 pour aller me doucher avant le repas. A 21h quand Alain repart je vais me coucher. Il fait très froid et je suis en hypothermie, je sais que 2 ou 3 tours me remettraient d’aplomb mais je n’ai pas envie de traîner avec ce temps là. J’ai prévu de me lever plus tôt mais je ne me réveille pas. Je n’ai pas de réveil pour ne pas gêner les camarades du cabanon. Alain fait le trou, il me prend un marathon d’avance et le conservera jusqu’à l’arrivée, creusant même un peu plus dans les dernières heures puisqu’il finit avec 50km d’avance. Pourtant le 5ème jour je sais qu’il en a assez de cette pression qu’on s’impose tous les deux. Il me dit le matin qu’il faudrait qu’on lève un peu le pied. Moi aussi j’en ai assez mais je cherche à maintenir la moyenne de 100km par jour. Ce jour là on tourne sur le petit circuit, la digue est fermée, on passe la descente en béton et en dévers tous les 500m. Il y a déjà deux jours que j’ai très mal sous les pieds. Il faut dire que je n’ai pas pris mes bonnes chaussures par souci d’économie. Je suis venu avec des vieilles paires qui ont beaucoup vécu, qui ont déjà connu la Transe Gaule . Je ne sais plus lesquelles mettre, toutes me vont mal. Je change sans arrêt. Je regrette celles avec lesquelles j’ai fait St Estève. Ah l’amorti, sur 24h je me contente de peu mais sur 7 jours c’est primordial ! Et puis voilà que je ressens une gêne au tibia, sur l’avant. Pas encore une douleur. Je passe à 502km500 au terme du 5ème jour mais j’ai commencé à lever le pied. J’annonce cependant à Alain que je veux aller à 700. Il s’en inquiète, il a saigné du nez et me dit être fatigué mais moi je sais qu’il va garder son avance, il en veux, il a des moyens, et si je vais à 700km, il ira plus loin ! …Mais la question ne se posera pas car dans la nuit ce point gênant va s’enflammer. S’il s’agissait d’un 6 jours je maintiendrais la pression mais il reste encore 2 jours. Et puis Alain est loin, s’il tient je ne reviendrai pas. Quant à mes deux amis transgauldos, Christophe Midelet et Patrick Bonnot, ils sont à plus de 70km. J’ai donc intérêt à assurer ma deuxième place. Au petit matin je l’annonce aux autres, pas très crédules par rapport à mon discours de la veille. Car je ne leur ai pas dit que je suis blessé, pas encore, c’est trop tôt. Tout le monde sait qu’un animal blessé est plus facile à attraper :-)). J’ai mis un pantalon de jogging pour cacher le strapping que je me suis fabriqué. Je marche. J'ai une apparence normale, ça ne se voit pas que je suis blessé. Je vais marcher comme ça pendant deux jours, parfois essayer de trottiner un peu.
Et là je trouve que c’est trop. J’étais venu pour courir et non pour marcher. Bon d’accord, en ultra il y a presque toujours des moments où l’on marche. Mais pour que ça reste un plaisir pour moi il faut que la course domine. Je n'ai pas aimé marcher comme ça pendant des heures. Vers la fin j'ai retrouvé un peu de plaisir, un peu de cette euphorie qu’on ressent en fin d’ultra. Je suis quand même resté très loin des sensations, du plaisir que j’ai souvent trouvé en ultra, y compris sur les courses par étapes, sur la Transe Gaule par exemple. Ici les journées sont trop longues, beaucoup trop longues…
Je termine ma semaine avec 642km dans les jambes. Le vainqueur en a 693. Un beau vainqueur Alain FORCELLA, le meilleur d'entre nous, pour preuve son résultat car sur une semaine il n'y a pas de bluff, c'est toujours le meilleur qui gagne.
C'est dur, très dur, néanmoins il y aura sans doute une autre NFL à mon programme 2006. En effet, quand je fais le bilan, je retiens surtout le bonheur, l'ivresse de courir.
Un immense merci pour tout à Philippe Verdier et son équipe, excellente organisation très à l’écoute des participants, des connaisseurs de ce type d’effort.